Interview de Petit Vodo
pour Rock & Folk
#393
(mai 2000)
Vincent Hanon

"Avec ses lunettes il me fait peur" Marilyn Manson

Faux homme-orchestre mais véritable boucan-train, Petit Vodo aligne la chanson française qu'il menace de sortir de sa torpeur.

C'est devant une saucisse de Morteau et un verre de Brouilly qu'on retrouve Petit Vodo. Drôle de gus... Bo Diddley technoïde ou Hasil Adkins bordelais ? Blues futuriste ou noise expérimental ? Lui se définit tout juste comme "grillé". "Sixty Nine Stereovox", son deuxième album, propose une autre forme de french touch. En effet, ce petit bonhomme aime à parler de rock'n'roll et puis de lui. Avant l'opéra, on apprend par exemple que le Vodo fut, dans une vie antérieure, batteur de jazz dans une formation à la Charlie Mingus ou que son titre "Spam Cow" est une référence directe à Spam, l'ex-batteur de T-Model Ford, qui téléphonait tous les jours de la tournée au Mississippi pour prendre des nouvelles de sa vache. Tapage de cloche.

Détourner l'outil

R&F : Petit Vodo est-il seul ?

Petit Vodo : Non, c'est un collectif, il y a cinq ou six personnes qui sont toujours derrière moi. Malgré les apparences, je ne suis pas capable de tout faire seul. L'homme de l'ombre s'appelle Eric Bling, il m'a aidé à la production et réalisé le mix. C'est un excellent guitariste qui m'a fait découvrir aussi bien Skip James, Dan Pickett que Morphine. Sur scène, j'aurai sans doute bientôt besoin d'un DJ qui pourrait envoyer ou mixer des choses. Casser les poncifs, j'aime cet état d'esprit.

R&F : Le danger n'est-il pas de trop intellectualiser ?

Petit Vodo : Je suis entouré de gens qui ont cette tendance. Mais à un moment donné, sur scène, je fous tout en l'air et je vais vers quelque chose d'essentiel. En même temps, je n'ai pas à refuser cet esprit. Il constitue une marque de fabrication française. Cette espèce de recul, cette réflexion, d'épistémologie qu'on fait tout le temps. Ça m'aide aussi à construire ou à ne pas tomber dans la facilité du rock binaire ou du blues classique en trois accords/ douze mesures. Le fait de penser n'est pas antinomique avec celui de faire une musique énergique et directe.

R&F : Après "Monom", pas trop eu peur de tomber dans le piège de l'attraction Petit Vodo ?

Petit Vodo: J'ai beaucoup pensé à une époque puis j'ai pris de l'assurance. Sur scène, il y a des morceaux pour lesquels je suis seul devant le micro. C'est vrai que j'ai énormément souffert d'être la bête de foire. J'ai même failli faire un break pour trouver des musiciens. Avec cet album, j'ai pensé qu'il fallait que j'enfonce le clou et que je définisse une voie plus proche qui est au fond de moi. Ce que j'aime dans cette musique, c'est son intensité honnête.

R&F : L'accueil anglais...

Petit Vodo : J'ai beaucoup apprécié que les gens écrivent sur ma musique avant de le faire sur le spectacle. J'avais prévu d'enregistrer avec des membres de Gallon Drunk et des Country Teasers avec qui je m'entendais bien, mais le temps et l'argent ont fait qu'on est restés sur Bordeaux. Il est très difficile pour un groupe de rock français de percer sur le territoire anglais ou américain. Les Anglais du label Butcher's Wig m'offraient cette plate-forme. Je suis heureux d'avoir un album international. Quand bien même je n'en vendrai pas des milliers, cette diffusion de l'attitude est intéressante.

R&F : Sur '69', il subsiste ce parfum de bricolage...

Petit Vodo : J'ai lâché mon quatre-pistes pour un ordinateur avec lequel j'arrive même à faire du mauvais son (rires). Je tente toujours de détourner l'outil. J'aime cette idée de pousser les choses à leurs limites. Quand j'arrive à la Grosse Rose, j'éteins toutes les machines, il ne reste plus que la table allumée.

Renouveau de la chanson

R&F : A propos de sexe ?

Petit Vodo: Je crois que je suis un malade sexuel. Je n'ai pas les moyens pour suivre une thérapie donc je la mets dans mes compositions. C'est vrai qu'il y a un coït musical, une érection jubilatoire, dans cet album. Déjà, je suis né en 1969, ça marque. Bon, ça parle d'amour aussi (rires). Sur "Big Like That", pour faire hurler les filles comme ça, j'ai dû y aller de ma propre personne. Dans la cabine du studio, les gens étaient beaucoup plus gênés que nous. [voir les photos]

R&F : Petit Vodo et notre pays ?

Petit Vodo : En France, la culture de l'homme orchestre est liée à Rémi Bricka. Je préférerais qu'on cite plus souvent Vibroboy (rires). Je suis également isolé dans les choix esthétiques que je fais. L'élan, notamment des maisons de disques, se situe dans le renouveau de la chanson française, le reggae et ces choses-là. En même temps, je pourrais aller m'installer ailleurs, mais ce serait presque trop facile. C'est comme un défi. Je pense à Henri Salvador, à Boris Vian, à la farce sérieuse, quelque chose qui n'est pas typiquement anglophone. Et puis, après tout, s'il n'en reste qu'un (rires)...