Interview de Petit Vodo
pour Kérosène #4

(automne 2004)
par Loic

Après avoir été découvert par Noir Désir et s'être vu offrir de jouer en ouverture de leur concert de juin 97 aux arènes de Nîmes devant 25000 personnes ; après avoir sorti 2 albums ("Monom" en 1998 et "69 StereoVox" en 2000, acclamés de par le monde); après avoir fait les premières parties de Mister Bungle en Europe et d'une légende de la Soul (André Williams) en France et mis le feu tout seul sur presque toutes les scènes du monde, Sébastien Chevalier alias Petit Vodo en redemande et sort son nouvel album depuis 4 ans : "A Little Big Pig With A Pink Lonely Heart". L'ère est au changement pour l'ex-"French One Man Band", : changement de label, finie la solitude sur scène... Explications du pourquoi du comment avec l'intéressé : ladies & Gentlemen, the one & only Petit Vodo. Let me hear you say : YEAH !!!

Ton album précédent date d'il y a 4 ans, qu'as-tu fais pendant ce temps ?

Tant de choses... J'ai tout d'abord entrepris l'écriture de nouvelles chansons avec une nouvelle méthode (une chambre dans une ferme, un ordinateur et ma guitare) puis j'ai bougé à Londres et travaillé là-bas sur une superbe compilation «Balling The Jack & The birth of the Nu-Blues» à l'initiative de Joe Cushley (Mojo Magazine). Je me suis retrouvé sur un disque avec Tom Waits, Nick Cave, RL Burnside... bref tous les artistes que j'aime dans le monde. J'ai joué là-bas avec Billy Childlish et Holly Golightly (entre Eleni Mandell et PJ Harvey). Je suis devenu ami avec John Parish. Puis il y a eu le fossé. Plusieurs mois de doutes. Trimballé par les majors et les éditeurs plus ou moins compatissants, j'ai compris que décidément je ne pouvais compter que sur moi même. Afin de prendre un peu de recul, j'ai produit l'album de Eric Bling, mon compère de longue date, puis celui de Valoy sur une collection que j'ai créé pour l'occasion, Les Disques Atomic. Puis j'ai poussé un grand cri de rage et je me suis enfermé avec mon ampli et mes chats dans un grenier à la frontière des Landes et du Gers. J'ai écris en un jet la presque totalité de mon album! Alors j'ai réuni mes meilleurs amis et nous sommes partis en studio enregistrer le nouvel album durant la canicule de l'été dernier.

Ce que tu fais es très inscrit dans la culture américaine (le blues, la tradition des garage bands ... ). Comment fait-on pour en arriver là lorsque qu'on vit près de Bordeaux ?

Certes je vis en Aquitaine depuis de nombreuses années. Mais mes racines sont bien ailleurs. Bordeaux, ville que j'aime, est néanmoins pourrie par sa suffisance bourgeoise et par un passé pas toujours rose (port largement impliqué dans la traite des noirs). Pour ma part, je me gens d'ailleurs. Premièrement j'ai des racines tchèques (ce qui explique le nom de Vodo), je suis né à Paris et toute ma culture musicale s'est faite par les disques que possédait mon père (grand collectionneur sixties) dès l'âge de 3 ans. Bo Diddley et Eddy Cochran m'étaient familiers, Gene Vincent, Elvis puis les Kinks les Stones et plus tard T-Rex et les Stooges. Mes copains écoutaient Michael Jackson mais moi je me réveillais sur les refrains de Buddy Holly et d'AC/DC. Ça forge une personnalité, non ?

Sur scène tu es passé d'un «poste» guitare-batterie-sampler à 3 «postes» : peux tu expliquer cette nouvelle configuration et nous dire pourquoi tu l'as changée ?

Je ne pouvais me résoudre à un monolithe scénique. J'aime le mouvement, l'espace, le théâtre. Il fallait que j'évolue, Qu'une histoire soit racontée. J'ai énormément d'admiration pour Bob Log III ou Hazil Adkins mais le one man band n'est qu'un prétexte pour moi. Ce qui compte c'est ce que j'ai à dire. La musique que je joue me guide et pas l'inverse. Si elle me dirige vers de nouvelles expériences scéniques, je suis mon instinct. Il va falloir réviser l'image de l'artiste bloqué derrière sa grosse caisse pour moi. Laissons cette ascèse à Bob Log. Pour une partie des nouveaux titres, je suis désormais accompagné sur scène par un duo basse-batterie, The Majestic Double Nips à conjuguer au féminin !). Je me libère peu à peu de cette image unilatérale de one man band français.

Entre ton nouvel et ton précédent album, le «grand retour du Rock'n'roll» (avec l'avènement de groupes comme les White Stripes, Hives... ) a eu lieu. Est-ce que cela a changé quelque chose pour toi (accueil et compréhension du public, etc. ?

Je ne sais pas... A vrai dire j'ai toujours su que le rock and roll ferait son come back. En Angleterre je fais partie modestement de ce renouveau depuis 5 ans déjà. Les français sont des suiveurs, toujours un temps de retard, c'est bien connu. Mais il faut se méfier des modes car elles se construisent souvent sur le caprice de tel ou tel directeur artistique de major. Un jour, ils finissent par avoir d'autres envies et pouf plus de rock and roll dans les radios ! Je peux déjà prédire le grand come back de la country grass ou encore du psychédélisme. C'est évident, c'est financier. On ne me prendra pas pour un con. Cela fait quelques années maintenant que je joue du rock and roll et du nu-blues et c'est pas demain la veille que je vais changer. Certains heureusement l'ont compris.

Tu es plus connu et apprécié à l'étranger que dans ton propre pays. Quel est ton sentiment là-dessus ?

Je pense déjà avoir répondu à cette question. Mais que l'on ne se trompe pas sur moi : j'aime la France et les français. Lorsque j'ai débuté, je n'envisageais pas de jouer à l'étranger. Mon projet est d'une certaine manière «franco-français» sauf que je ne me défini absolument pas comme «bluesman français» car ces mots véhiculent un terrain boueux, souvent "has been". Un journaliste anglais a écrit un jour que mon attitude vis-à-vis du blues était à rapprocher de celle d'un Boris Vian ou Henri Salvador période Saint Germain des Prés vis-à-vis du jazz. C'est peut être la chose la plus belle que l'on est dite sur moi.

N'y aurait-il pas un lien avec le fait que tu ne t'inscrives pas dans la tradition française de l'artiste dépressif se sacrifiant (du moins en apparence) pour l'amour de son Art.

Je ne crois pas. Je ne suis pas si romantique. Mais j'aime mon "Art" comme tu dis et rien ne passe avant. Les traditions c'est le terreau de populisme ! Si modestement je file un coup dans le paquet de merde et bien je tâcherai de la faire du pied gauche, histoire que cela me porte chance.

Dans la même idée, en plein débat sur le téléchargement, tu n'hésites pas à dire que tu en a marre de l'Underground, que tu veux récolter les fruits de ton travail... Tu est suicidaire ou tu es un vrai Punk qui se fout de son image ?

L'underground, Voila bien un mot qui a perdu tout son sens à mes yeux. Qu'elle est sa définition aujourd'hui, en France ? Qui a vu «Sleep» ou «Trash» d'Andy Warhol ? Qui connaît réellement le Velvet ? Qui se pique pour faire la nique à la société ? Franchement ? Restent les fanzines et les assos sur le terrain. L'underground sert trop souvent de prétexte en creux à la justification du business. Je ne citerai pas un célèbre label et distributeur qui se sert de l'image de l'underground pour nous faire avaler des rayons entiers de produits marketing. Dans ces conditions je préfère m'en tenir au tangible : vivre le mieux possible de mon art et comme la vie est chère...

Il y a d'autres musiciens français très connus à l'étranger : Aznavour, Piaf, Mireille Mathieu, Richard Clayderman ou Patrick Hernandez. Dans lequel de ceux-ci te reconnais-tu le plus ?

Aznavour. Mais si tu continues de me poser de telles questions, je ne répondrai plus.

Je constate qu'il y a, comme toi, de plus an plus de petites formations au d'artistes choisissant consciemment de faire carrière en solo (Bumcello, Bob Log III, Joseph Arthur, Manu Chao, pour ses disques, sans compter les musiciens électroniques). A ton avis, (et aussi pour ton cas) penses-tu que c'est le reflet de l'individualisme actuel, une stratégie de survie nécessaire pour la musique ou une philosophie pour l'avenir (qui serait à la fois proche de l'écologie et qui mettrait en avant des êtres humains plutôt que des stars inaccessibles) ?

C'est compliqué ta question ! Je ne me la suis jamais posée. Le fait est que j'ai toujours rêvé d'être en haut de l'affiche comme dirait Aznavour (encore). Qui n'a jamais fait ce rêve ? La dimension écologique du propos me dépasse quelque peu...

Tu sembles beaucoup jouer avec les clichés du Rock et du Blues, voici donc quelques questions Sex, Drug & Rock'n'roll... Le 3ème titre sur ton album s'appelle «Relaxxx». Les 3 «x», c'est parce que ça fait moins mal quand on se détend?

En fait j'avais peur que l'on me dise : «ah oui, comme Frankie Goes To Hollywood ... » Les trois X appuient le fait qu'il ne faut rien précipiter. Cette chanson parle des besoins pressants d'une femme à vouloir construire une vie rapidement «installée» avec des enfants, etc. A cela je répond «Relaxxx», pour le moment, profitons des plaisirs du x !

J'ai lu que tu cherchais des choristes féminines pour la scène : tu comptes les payer en vrai argent ou uniquement en nature ?

La réponse est donnée dans ma phrase précédente. A ce propos j'ai trouvé la batteuse mais ne me suis pas encore arrêté sur la bassiste (cela peut très bien être une guitariste d'ailleurs). Alors les rockeuses, appelez moi !

Pour déployer autant d'énergie sur scène, alors que tu es seul de surcroît, tu marches à quoi ?

Au plaisir des fantasmes organiques, aux songes des bas de femmes, aux poitrines opulentes façon Russ Meyer. C'est ma dope. Elle m'active bien plus que tout.

Quel est le truc le plus rock'n'roll qui te soit arrivé en tournée ?

Je me suis retrouvé sous la pluie dans une ruelle londonienne derrière The Garage Club, cinq minutes après être sorti de scène (j'ouvrais pour The Queers) un soir d'hiver avec tout mon matériel en vrac sur le trottoir. Le service d'ordre et de régie plateau était le même... Et à Manchester, je me suis battu contre un flic qui mettait un PV à mon camion. Ça m'a coûté bonbon !

[Question subsidiaire débile] Vu ton nom de famille, penses-tu que tu aurais fait la même musique si tes parents t'avaient prénommé Maurice ?

En réalité, je vais te l'avouer, je m'appelle Maurice. Maurice Vodo.