Interview de Petit Vodo
pour Abus Dangereux #88

(juillet 2004)
par Katimini

Ladies and gentlemen, welcome to the famous French one man band Petit Vodo. He comes from the south west of the country, plays guitar, drums, harmonicas, radio waves in an extraordinary performance you have to see to believe it ! If you like the rock'n'roll and love the nu blues... bla bla bla"

Comme on n'est jamais mieux servi que par soi-même, c'est Petit Vodo lui-même qui a écrit cette introduction qui reprend en substance les annonces des pays qu'il a traversés au cours de sa carrière (sept ans déjà !) Après avoir fait tourner son spectacle solo pendant plus de deux ans sur toutes les routes européennes et accumulé suffisamment d'expériences pour écrire un triple album, après avoir participé aux enregistrements de rencontres d'un jour ou d'amis de toujours, après avoir tenté de dévergonder les départements artistiques des majors françaises et s'être pris une grosse claque de la part de ces vénérables institutions aussi puritaines que sourdes, Petit Vodo est rentré chez lui. Maintenant le blues, il peut dire qu'il le connaît... de l'intérieur !

Il va donc aller faire une petite cure de désintoxication artistique au fin fond des Landes, avec les poules et les lapins pour tout public. Cette mise au vert lui permet de faire le tri : le blues, le rock'n'roll, la soul, la folk, le funk, la country.. Tout ça c'est que des conneries ! "Time, they are a changing" comme dirait ce bon Zim : 1) Petit Vodo va faire exactement ce qu'il veut de ses arrangements sans s'occuper de l'étiquette 2) il va réunir une vraie équipe pour accoucher de tous ces morceaux qui n'en peuvent plus d'être enfermés dans son cerveau. C'est ainsi que commence l'extraordinaire histoire de The little big pig with a pink lonely heart. Et la suite ? Ben, c'est encore Sébastien Chevalier qui la raconte le mieux !

"Les conditions d'enregistrement de Little big pig... étaient totalement différentes de celles des deux albums précédents. "Monom" et "69 Stereovox" ont été enregistrés avec Ted, le régisseur des Noir Des', seuls, face à face, Eric Bling donnant son coup de patte juste au moment du mix. Little big pig... a été enregistré par Valoy assisté de Stan L à la table. Un tas de gens ont gravité autour de nous, pas mal de gens sont passés pour donner un coup de main... Je suis entré en studio avec une idée très précise de cet album. Le premier jour j'ai accroché tous les textes des chansons sur les murs du studio. Tout était déjà prêt : treize titres sur les quinze enregistrés avaient la structure et la mélodie déjà enregistrées sur ordinateur. J'envoyais la maquette sur la table et je rejouais par dessus. Chacun a donc eu un rôle bien déterminé et ça nous a permis d'avancer très vite. Il y avait une sorte de feuille de route qui nous permettait de boucler deux titres par jour en moyenne.

La différence essentielle avec les albums précédents est la présence d'une basse qui change tout au niveau du son.

Tout à fait ! Je savais que ça donnerait une cohérence à mes morceaux. C'est ce qui donne cette impression plus travaillée, une chaleur, une dynamique qui répond à la batterie qui du coup est moins sèche. Comme quoi, ça tient à peu de choses! C'est moi qui ai fait toutes les basses de l'album à part sur "Big Star" où c'est Valoy qui joue. J'ai voulu mixer basse-batterie à la manière d'un groupe et ça s'entend beaucoup. C'est pourquoi je suis en train d'étudier la possibilité d'avoir deux filles sur scène avec moi pour assurer la rythmique.

On retrouve aussi beaucoup de choeurs féminins…

Face à la sinistrose ambiante des trois ans de travail écoulés, il fallait que Little big pig... soit un album fun. Une présence féminine se révélait donc importante, d'autant plus que j'avais beaucoup aimé l'expérience des filles qui répétaient "69" sur "Big like that". En même temps je ne voulais pas des choeurs traditionnels donc j'ai pris des risques en choisissant trois personnes totalement différentes. Il y a Dejma et Valérie qui forment le groupe Sporange qui a son propre répertoire d'improvisation sur une guitare folk/pop en travaillant sur des tonalités de voix complémentaires. Même si le résultat est souvent complètement barré, ce sont deux choristes très professionnelles. Et puis j'ai invité Céline qui travaillait sur des textes de Frandol lorsque nous avons enregistré "Olipop". C'est elle qui déborde tout le temps sur les choeurs, la petite voix qui est en retard ou qui rigole à la fin de "Big Star". Elle fait office de -très joli- mouton noir en apportant une fraîcheur et une innocence qu'on n'aurait pas pu avoir seulement avec les filles de Sporange.

Tu tends un piège avec "Soul Singer" qui commence avec un orgue tout doux, très soul, qui se fait laminer au bout de 30 secondes.

En fait ce clavier ralenti est extrait d'un autre titre que j'avais composé pendant la période de pré-prod. Le fait de l'aligner tout de suite était une manière de dire. "j'avais composé quelque chose de vachement bien, vous n'en avez pas voulu, alors voilà !".

On a l'impression que tu es pris en étau entre un côté très acoustique et une envie de rock'n'roll électrique. Même si tu as toujours utilisé les deux, c'est beaucoup plus palpable que sur les albums précédents.

Ca vient de la scène que j'ai divisée en deux sites : l'un où j'ai juste une petite grosse caisse et une guitare acoustique et un autre avec toutes les machines et la grosse batterie. J'ai acheté une guitare acoustique électrifiée et je passe un tiers du spectacle sur ce site acoustique. Je me suis rendu compte que je me sens de plus en plus à l'aise avec ça et que les gens répondent bien. J'ai donc écrit des morceaux pour l'acoustique et des morceaux pour l'électrique, et ces deux cas de figures devaient avoir droit de cité. Peut être que cette évolution va m'amener à faire un album complètement acoustique. On verra...

"Sweet as a nut" est un morceau très particulier un peu comme l'était le "Spam's cow" de 69 Stereovox. Quelle est son histoire ?

Là encore, cela vient de la scène. Cette chanson parle de Caroline et David, le couple de Liverpool que nous avons rencontré en Angleterre lors de la tournée 2000. La "pretty Jane wearing cat clothes" c'est Caroline qui a traversé la salle entièrement habillée avec une tenue de chat et est venue me susurrer à l'oreille "you are sweet as a nut". La fin avec le métallophone nous emmène sous un chapiteau : c'est un hommage à David qui est clown. Cette chanson raconte plein de choses que j'ai vécues lors des deux tournées en Angleterre. Ce sont des polaroids de Manchester, Brighton, Newport... mélangés et remontés. C'est à la fois un morceau triste et nostalgique et à ce titre-là il peut faire penser à une ballade, mais en même temps c'est un poème très très simple susurré à l'oreille. Il y a deux breaks où je dis "si lentement et si fort" qui évoquent des moments de très grand silence et de très grande lenteur que j'ai pu vivre dans le speed général. C'est pourquoi la structure est si différente des autres morceaux, j'avais besoin que l'on ressente ces cassures par un traitement totalement original.

La plupart des morceaux sont enchaînés, ou du moins se répondent ou s'opposent dans l'intro ou la fin. Je suppose qu'il y a eu une certaine réflexion sur l'ordre des morceaux qui a influencé ce choix. Comment décide-t-on que celui-ci vient avant celui-là ?

Pour le premier c'est toujours compliqué. Si on sait ce que l'on a voulu dire dans son album, le reste suit tout seul. J'avais pensé ouvrir l'album avec "Bo Crash" car mes deux premiers albums commençaient par un hommage à Bo Diddley. Mais je me suis rendu compte rapidement qu'il y avait une longue intro qui demandait trop de temps pour rentrer dans le morceau. J'ai pensé au public et pour la première fois j'ai demandé à la maison de disques de me proposer un ordre. C'est donc Stéphane Signoré de Lollipop qui m'a conseillé de mettre "On night no way", qui par son côté fun et les choeurs des filles, était le plus à même de donner envie d'écouter la suite de l'album. J'ai choisi des cuts et des enchaînements assez rapides, assez proches de l'état d'esprit branleur de "Monom" car j'étais très pressé d'avoir l'album. Je lui ai insufflé ainsi une certaine urgence. J'avais dès l'enregistrement l'idée des intros et des fins. Par exemple je voulais qu'on sente le soleil grâce aux chants Tahitiens qu'on a laissés tourner après la fin de "Sugar Sugar". J'ai mis en fond sonore quelques vinyles de la collection "Southern prison blues" enregistrés dans les prisons américaines au début du siècle par Alan Lomax. C'est donc naturellement que j'ai retenu l'intervention d'un de ces détenus sur "Soul singer".

Tu as enregistré en plein mois d'août 2003. Est ce que la canicule a influencé le résultat ?

Sûrement ! La chaleur, la sensualité de certains morceaux doit en effet s'en ressentir. Nous n'avions qu'un ventilateur que l'on devait arrêter lorsque j'enregistrais sinon ça faisait des vibrations dans les machines. Les seuls moments où on arrivait à chanter, car il fallait bouger un peu, c'était la nuit quand on pouvait ouvrir pour avoir un peu de fraîcheur. Les sangles de guitares me tuaient la peau, les cordes de guitares étaient trempées, les baguettes me glissaient des mains, ça m'a donc amené à jouer différemment. Il faisait 45°C dehors, donc tu imagines la température qu'il régnait à l'intérieur, ventilo coupé... Tout pouvait exploser à n'importe quel moment. On ne savait pas s'il fallait tous faire l'amour tellement on était dans la moiteur et la sensualité... mais on avait trop chaud. Ca aurait pu mal finir ! [rires]

Quelle idée d'avoir intitulé ton album "A little big pig with a pink lonelly heart" (un grand petit cochon avec un coeur rose tendre et solitaire) ?

Le "Little big pig" c'est le "Little big man", l'indien au milieu des cow boys qu'il m'a semblé être à un moment. Le "pink lonely heart" fait référence à "Sergent Pepper's lonely heart club band" qui est un de mes disques préférés par son côté foire à tout. L'ensemble fait une double référence à l'album des Beatles car j'aime bien qu'il y ait au moins une fois dans une carrière discographique un titre à rallonge : une phrase pas moins, avec un tas d'adjectifs à la suite. Et en plus c'est la seule phrase que je ne dis jamais dans l'album moi-même !

De toute façon on ne comprend qu'un mot de temps en temps avec tous les effets que tu imposes à ta voix…

[sourire] J'ai de plus en plus confiance en ma présence de voix mais je ne peux pas la livrer comme ça, du moins pas encore. Elle n'est peut-être pas super, mais c'est la mienne et c'est avec elle que j'ai construit déjà un beau début d'histoire. Il y a une certaine musicalité qui fait que c'est mon identité. Je sens ma voix comme une pulsion presque animale qui entre dans un mot plus ou moins bien prononcé. Les textes de Little big pig étaient écrits donc je pouvais m'accrocher à mes mots, mais ce n'est pas pour autant que j'allais déclarer mes textes comme Mickey 3D. On a joué sur la cohérence avec les voix des filles sur certains morceaux, avec le thème du morceau sur d'autres. Souvent c'était une volonté de masquer ma voix. On a beaucoup travaillé au mixage, il nous est arrivé d'ajouter une saturation qui n'existait pas à l'enregistrement.

Depuis le début on retrouve des références explicites à Petit Vodo dans tes disques, que ce soit dans les annonces ou les chansons elles-mêmes. Est ce que Petit Vodo est ton Ziggy Stardust ?

Sûrement ! En fait je crois que je suis de plus en plus Petit Vodo aussi bien dans ma manière de penser que d'être ce personnage que j'ai créé il y a sept ans. Mais en même temps je reste narrateur à côté de ce personnage un peu mythique qui porterait une parole que je trouve idéale dans la musique que je veux faire. C'est vrai que la notion de comédie dans cet album s'en ressent. Mais il y a quelque chose de nouveau : je fais dire à Petit Vodo des choses importantes. "Allright" est ma réplique aux gens qui m'ont trompé dans les majors, sans tomber dans le revendicatif car ce n'est pas mon genre. C'est aussi la première fois que j'écris une chanson politique : on était en plein dans l'invasion de l'Irak par les troupes américaines, quand j'ai écrit "I'm thinking right now" où je m'adresse à Bush. C'est la première fois que je l'exprime clairement, mais je préfère faire mon rock'n'roll blues en France que de participer d'une manière même indirecte à cette grande fanfare débile et meurtrière américaine !