Interview de Petit Vodo
pour Abus Dangereux #58
octobre-novembre 1998

Vodo rhythm

Abus Dangereux : Ceux d'entre vous qui ont déjà assisté à un concert de Petit Vodo s'en souviennent certainement. A peine plus grand qu'un réveil de voyage, le bonhomme se produit seul sur scène, jouant tout à la fois de la batterie, de la guitare, de l'harmonica en éructant un blues de déjanté d'une voix de troll sous acide, tandis qu'à l'aide de sa huitième main, il bidouille poste de radio et boucle de sampler. Cette vision peu courante ainsi que le vacarme supersonique produit suffisent en général à vous coller au plafond (allez le voir de préférence dans une petite salle, ça fait moins mal quand on retombe).

Une prestation scénique plutôt unique qu'il faut avoir vu après Venise et avant de mourir idiot car l'homme orchestre se fait rare de nos jours. D'autant plus qu'en fermant les yeux, on pourrait se croire au milieu d'un furieux concert de Jon Spencer Blues Explosion. L'animal aurait pu se contenter de jouer la carte bête de cirque… Heu pardon, de scène et exploiter tranquillement son côté anecdotique de Hasil Adkins français en alignant concert performance et tout le monde aurait été content, tra la li, tra la la… Certains esprits chagrins me firent même remarquer que si Petit Vodo fait tout sur scène, il ne peut pas tout jouer et que sa prestation a des limites ! C'est vrai : Petit Vodo est toujours incapable de décapsuler sa bière tout en jouant de trois instruments à la fois… Et puis aujourd'hui tout le monde peut faire un disque tout seul… C'est mal connaître l'engin… Chacune des 9 chansons du mini album (Monom) a été enregistré en une prise donc en conditions live, et pire encore, cet album, c'est du bonheur!!!

A situer entre Jon Spencer Blues Explosion ou RL Burnside et les vrais bluesmen crades du bon vieux style Howlin' Wolf ou Lightnin' Hopkins, cette galette regorge de rythmes syncopés, de breaks fracassants, de slides dévissés, de hurlements grinçants et totale jubilation, on y sent l'influence omniprésente du plus grand des rock'n'roll mother fuckers : l'abominable Bo Didley. A quelle putain de nom de dieu de trique !!!

"Ce mec a de la classe !" James Dean

Petit Vodo : Je n'ai pas toujours joué tout seul… J'officiais avant au sein de T.C. Walk en tant que batteur et nous avions un format plus classique avec un guitariste, un bassiste, etc. Mais déjà, j'avais tendance à préparer les bases des chansons en bidouillant des maquettes en solo. Lorsque le groupe a splitté, j'ai continué de bidouiller à la maison, en réalisant aussi que le fait d'être en solo m'offrait plus de liberté, pour improviser et exploiter des erreurs. Un break loupé avec le groupe oblige à tout recommencer ; en solo, c'est plus facile à récupérer et ça débouche souvent sur une idée intéressante. Par rapport à T.C. Walk, je peux faire aujourd'hui un blues beaucoup moins classique et plus débridé. Au départ j'étais tout seul parce que je n'avais ni le temps ni l'occasion de trouver d'autres musiciens. Et puis à force de travailler (je répète en moyenne trois heures par jours), quelque chose est née qui tenait la route et que j'ai eu à cœur de développer…

AD : Tu n'es donc pas un misanthrope forcené ?

PV : Pas du tout, Petit Vodo n'existerait pas sans l'aide et la participation de beaucoup de gens. Sur scène, j'ai besoin d'un ingénieur du son qui me comprenne et me conseille. Je bouffe souvent avec d'autres zicos, ça m'ouvre des horizons. Il y a aussi Eric Bling (ancien guitariste de T.C. Walk) qui m'a initié au blues et dont la critique et l'avis me sont précieux. L'aide des gens de la pépinière au Krakatoa est irremplaçable pour apprendre à maîtriser la scène.

AD : Puisque l'on parle d'influences…

PV : Il y en a qui viennent du coin : mon père était musicien, et j'ai baigné tout môme dans une culture rock'n'roll : Bo Didley, Eddy Cochran, Gene Vincent... le Blues ensuite avec les T.C. Walk, Jon Spencer et même pas mal de musique actuelles dans la mouvance techno qui m'intéressent au niveau des rythmes…

AD : A toi tout seul, peux-tu encore faire d'autres disques ?

PV : Sans problème ! (Petit Vodo m'emmène dans sa vodocrypte, encombrée de matos d'occase à 20 sacs et pendant une bonne heure me fait écouter des extraits des maquettes réalisées depuis trois ans ). Tu vois, sous des formats plus ou moins aboutis ; il y a au moins de quoi faire trois albums… D'ailleurs, on pourrait, très bien imaginer de les réaliser avec d'autres musiciens, ou d'y inclure une partie visuelle puisque à la base je suis plutôt graphiste… Sauf que ça fait deux ans que la musique me prend tout mon temps et que je n'ai rien peint.

AD : A part ton sampler (et encore !), je ne vois rien de neuf, ou de marque, dans ton matos…

PV : Oui, je suis un obsédé de la bidouille. J'aime bien les guitares déglinguées, les sons obtenus avec n'importe quoi… C'est un peu ça pour moi l'esprit du blues, une musique basique réalisée avec les moyens du bord. Mais avec une énorme envie que ça sorte… A force de s'y coller, on arrive à fabriquer un morceau, ensuite à être capable de le restituer sur scène, parfois en samplant une partie que je ne peux pas faire en même temps qu'une autre.

AD : Etre tout seul, c'est limitatif sur scène ?

PV : Oui un peu, mais bon, je suis passé d'un set de 40 minutes à un set d'une heure dix. J'ai rajouté des parties, faites de samples et de bidouillages qui me permettent de créer d'autres ambiances, et, aussi de souffler un peu. Là aussi, il faut être imaginatif.

AD : Finalement tu as pas mal tourné cette année…

PV : Oui, au départ grâce à la Pépinière, et puis un contact en amène un autre… J'ai fait les premières parties d'Urban Dance Squad, et même une fois des Simple Minds (!). C'est intéressant parce que ça me permet de confronter ma musique à un public nouveau qui n'est généralement pas préparé à ce qui l'attend. Et pour l'instant, ça se passe bien. Par exemple, j'ai tourné avec Penthouse ; ça m'a ramené un deal pour un disque en Angleterre et des concerts à Londres pour cet hiver…

AD : En bref tu commences à être lancé…

PV : Si on considère le fait, qu'il y a deux ans, Petit Vodo n'existait pas, c'est sûr… Mais enfin, j'aborde ça avec prudence. Je n'accepterais pas n'importe quoi, bien que je veuille jouer devant des publics variés. Et puis c'est un milieu où il est facile de se brûler les ailes en voulant aller trop vite. En plus, quelque part, une fois réalisé ce qui m'intéresse en tant que musicien, j'aimerais vraiment me tourner vers la production. Travailler la bidouille pour d'autres groupes. Ça, ça me branche à fond mais ce sera un deuxième temps…

AD : Drôle de bonhomme… une fois l'interview finie. Petit Vodo a tenu à me faire savourer quelques vieux blues crados sur un teppaz préhistorique. En le regardant tripoter la vitesse et le réglage du poids entre chaque morceau pour en tirer le maximum, je me suis demandé comment on faisait pour faire entrer autant de passion dans un si petit corps… Je me suis dit aussi que si Petit Vodo avait rencontré Dieu, il aurait fait un excellent jésuite; heureusement il est tombé sur Bo Didley… On l'a échappé belle…